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Permis de construire, de démolir ou d’aménager : quand le recours est abusif, gare au retour de flamme

La décision tant attendue est arrivée : le permis de construire vous est accordé. Mais c’était sans compter sur le recours déposé par un tiers ! Contestation légitime ou intention manifeste de nuire ? Focus sur ce que prévoit la loi.

Permis de construire : Protéger ou nuire ?

Traditionnellement, le recours pour excès de pouvoir, – honnête ou mâtiné de mauvaise foi -, en ce qu’il constitue une garantie contre l’arbitraire de l’administration, est largement ouvert au tiers (ou requérant). Toutefois, en matière d’urbanisme, ce libéralisme a laissé place à de sérieux inconvénients.

En pratique, un recours contre un permis de construire ou d’aménager a pour effet de paralyser le projet, dans l’attente que le juge administratif se prononce. Cela prend généralement deux à quatre ans, voire plus en cas d’appel. Cette cessation de l’avancement des opérations pourrait être outrepassée par le démarrage des travaux, mais l’hypothèse est aussi rare que risquée.

Pourquoi ? Parce que le bénéficiaire du permis trop pressé d’entamer les travaux s’exposerait à une action en démolition devant le juge judiciaire en cas d’annulation de son permis de construire par le juge administratif. Situation a priori peu réjouissante.

Un contexte pour le moins particulier

Il était donc tentant, pour un voisin mal intentionné, de profiter de la lenteur de la justice administrative pour exercer un recours artificiel dans le but de négocier quelques travaux chez lui, d’obtenir une modification du projet voire de monnayer son désistement contre des espèces sonnantes et trébuchantes, le tout de manière plus ou moins déclarée.

Ces pratiques douteuses étaient assez fréquentes, à tel point que certains promoteurs intégraient dans leur budget prévisionnel l’indemnisation des voisins mécontents en contrepartie de leur désistement. Surréaliste, mais courant.

Échec et mat

Le législateur, qui cherchait par ailleurs à pallier le manque de logements, a fini par entendre les doléances des promoteurs en créant, par l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013, l’article L.600-7 du code de l’urbanisme ainsi rédigé : « lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager est mis en œuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l’auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts ».

Ce fameux article mentionnait également qu’une association ayant pour objet principal la protection de l’environnement était « présumée agir dans les limites de la défense de ses intérêts légitimes ». Était-ce enfin une vraie porte de sortie et la solution à une situation pénible et trop habituelle ?

Toutefois, compte tenu des critères exigeants fixés par la loi (excès des intérêts légitimes du requérant, préjudice excessif du bénéficiaire du permis, présomption d’intérêt légitime pour les associations) d’une part, et peut-être d’une réticence traditionnelle du juge administratif à sanctionner les recours abusifs pour excès de pouvoir d’autre part, cet article L. 600.7 s’est avéré largement décevant et inefficace : les condamnations à des dommages et intérêts étaient rarissimes et leur montant souvent dérisoire.

La loi ELAN à la rescousse du bénéficiaire du permis ?

Le législateur a donc remis l’ouvrage sur le métier en adoptant la loi pour l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique du 23 novembre 2018 dite loi ELAN, laquelle a modifié l’article L.600-7 dans un sens vraiment plus permissif.

Désormais, pour ouvrir droit à indemnisation, le recours ne doit plus être exercé « dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant » mais seulement « dans des conditions qui traduisent un comportement abusif de la part du requérant ». Cette dernière rédaction était censée inciter le juge à tenir compte de l’état d’esprit du requérant et, à partir de là, d’ouvrir plus largement le droit à indemnisation du bénéficiaire du permis.

Par ailleurs, dans sa rédaction issue de la loi ELAN de 2018, l’article L.600-7 n’exige plus que le préjudice subi par le bénéficiaire soit « excessif », contrairement à sa rédaction d’origine.

Et enfin, la présomption de défense des intérêts légitimes des associations de défense de l’environnement a été purement et simplement supprimée.

Dans quelle mesure ce nouvel article L.600-7 allait-il dissuader les recours abusifs ? Dans un arrêt daté du 3 octobre 2019 rendu sur renvoi après cassation, la Cour administrative d’appel de Versailles a apporté une première réponse (CAA Versailles, 3 octobre 2019, n°18VE01741). En l’espèce, l’association requérante, qui cumulait des irrecevabilités (recours tardif, président qui ne justifiait pas d’une habilitation pour exercer une action en justice, objet social sans rapport avec l’urbanisme qui tendait à la défense des intérêts des contribuables et enfin, pour couronner le tout, un recours qui n’avait pas été notifié au bénéficiaire du permis), a été condamnée à verser à la SCI bénéficiaire du permis une somme de 3 000 € au titre du préjudice moral. Finalement, quelle conclusion en tirer ?

Un bénéfice en demi-teinte

En premier lieu, on ne voit guère dans cet arrêt l’assouplissement des conditions d’indemnisation en cas de recours abusif. En effet, pour le requérant, chercher à temporiser ne semble pas vraiment audacieux et dissuasif : la modestie de la condamnation donne à penser que le juge administratif, fidèle à la « tradition », hésite à sanctionner les abus manifestes dans l’exercice du recours pour excès de pouvoir.

En second lieu, si le préjudice moral de la SCI bénéficiaire du permis a bien été réparé, la question de l’indemnisation reste entière au titre des préjudices immatériels résultant de l’ajournement du projet (pertes de loyers, pertes de subventions, ventes avortées, etc.), lesquels peuvent être conséquents.

En définitive, l’avenir dira si l’assouplissement des critères constitutifs du recours abusif voulu par le législateur, afin de dissuader les requérants mal intentionnés, se traduit concrètement dans les prétoires. Le retour de flamme ne semble pour l’instant pas cuisant, mais dans l’attente, malgré tout pour le requérant, la prudence reste de mise…